À la découverte du métier d'agent de joueurs de football avec Erick Noubissie, 35 ans et agent sportif licencié à temps plein. Celui qui a fraîchement rejoint Stellar, nous parle de son parcours et de sa vision de la profession.
Quel est ton parcours ?
Erick Noubissie : Plus jeune j'ai joué au foot et dans les meilleures catégories en jeunes, j'ai eu quelques expériences de club, Angleterre ainsi qu'en Allemagne. Cela m'a permis de découvrir et d'approcher le monde du football professionnel.
Après mon retour en France j'ai poursuivi mes études et j'ai obtenu un master de finance fiscalité-économie.
Par la suite il y'a eu l'ouverture de mon cabinet de gestion de patrimoine. Après 5 ans, je décide de me réorienter vers le métier d’agent de joueurs de football, en lien avec la FIFA.
Un métier que j’avais déjà côtoyé malgré moi lorsqu'en 2007 j’ai aidé mon frère à signer dans un club en Écosse. Après ce « deal » car je n’avais pas encore la licence adéquate, il m’a poussé à me diriger vers ce secteur.
Depuis 4 ans et demi, je suis désormais agent de joueurs de football. La plupart des agents font ce métier mais ont une activité à côté, moi je vis pleinement de cela.
Quelle est ta vision du rôle d’agent de joueurs de football ?
Erick Noubissie : Elle est à la fois simple et complexe. Simple car je dois suivre une ligne directrice c’est-à-dire défendre les intérêts du joueur de football que je représente et l’accompagner tout au long de sa carrière. Ça a l’air facile dit de cette manière. Cependant cela te demande d’avoir énormément de casquettes.
Quand tu accompagnes un joueur de football, il ne suffit pas seulement d’être présent lors de ses matchs et de ses signatures. Tu dois l’accompagner sur le plan psychologique, le plan sportif, le plan extra sportif, le plan financier si on en est capable.
Étant ancien gestionnaire de patrimoine, j’ai la possibilité de les accompagner sur l’achat de biens immobiliers, certains investissements et placements de leurs fonds. Je les conscientise sur l’aspect économique.
La fonction d’agent FIFA est-elle biaisée ?
Erick Noubissie : Il y a des agents FIFA qui ne se montrent que lors de la signature et accompagnent les joueurs à distance. Ce n’est pas une vérité absolue, ni une généralité.
Si on a cette image des agents de joueurs c’est qu’elle existe. Il y a des agents qui tentent d’être sur des opportunités et non sur un travail de fond. C’est aussi la raison pour laquelle il y a très peu d’agents qui durent.
C’est rare d’entendre un agent FIFA qui a été présent depuis plus de 15 ans. Il y a des agents FIFA dont on entend parler aujourd’hui qu’on ne verra plus d’ici deux ans. Il y en a qui travaillent peu, qui ne suivent pas les joueurs autant qu’il le faudrait mais il y a aussi beaucoup d’agents FIFA qui travaillent très bien généralement et malheureusement on parle très peu d’eux.
Quels sont selon toi les points essentiels pour avoir une certaine longévité en tant qu’agent de joueurs ?
Erick Noubissie : La qualité de ton travail ainsi que ton taux de finalisation de deal. C’est un métier qui se développe par recommandation.
Un agent licencié auprès de la FIFA obtient plus de joueurs par l’intermédiaire de ses propres joueurs que par tout autre intermédiaire. Lorsque le travail est bien fait, forcément d’autres joueurs de football veulent travailler avec toi.
Les joueurs communiquent beaucoup entre eux, le football est une petite sphère et les choses se savent très vite.
À partir du moment où ton efficacité est au-dessus de la moyenne, les joueurs restent, il n’y a que de cette manière que tu perdures.
Quels sont les fondamentaux dans le métier d’agent de football ?
Erick Noubissie : Dans un premier temps, il faut connaître sur le bout des doigts le droit du sport, plus précisément du football. Parfois il y a une méconnaissance de certains aspects juridiques, qui amène l’incapacité à conclure un deal. Certains vont faire des propositions qui vont à l’encontre des droits du sport, du football, par manque de connaissances. Les métiers du football sont encadrés par des lois, par des règles. Lorsqu’on a pas cette connaissance c’est très difficile d’aller au bout de certains deals.
Le deuxième fondamental c’est l’amour du football. Aujourd’hui on a des représentants sportifs qui font ce métier par opportunisme et non par passion. C’est un métier qui demande beaucoup de temps et de l’énergie. Tu ne peux pas faire ce métier si jamais tu n’es pas un passionné de football ou alors tu vas le faire mais tu ne vas pas t'éterniser.
Le dévouement, il faut accepter beaucoup d’échecs. Il y a 95% d’échecs que ce soit sur la prise de contact et lors des négociations. Pour accéder aux 5% de réussite qui te feront vivre du métier il faut se lever tôt. Il faut être dévoué, persévérant, déterminé. C’est un métier où il y a beaucoup de non et très peu de oui.
Sur 100 tentatives tu auras 98 échecs et 2 réussites. Il faut de l’abnégation, de la résilience, de la volonté, de la dévotion, il faut vraiment tout donner pour ce métier.
Le travail d’agent de joueurs, te coûte de l’argent, c’est beaucoup de dépenses au départ avant d’en percevoir les fruits, c’est très difficile d’aller au bout et d’en vivre.
Quelle place à l’accompagnement en cas d’échec ? Quels outils tu mets en place pour aider tes joueurs ?
Erick Noubissie : L’accompagnement en cas d’échec est ce qu’il y a de plus important dans le rôle d’agent.
Dans ce type de situation, on peut tester les compétences de ce dernier. Il est toujours plus difficile d’aider un joueur de football en difficulté, que d'en accompagner un pour qui tout se déroule bien.
C’est là qu’on doit voir les qualités de l’agent et surtout jauger la volonté qu’il a ou non d’accompagner son joueur. Les choses à mettre en place ne sont pas différentes de ce que l’on fait habituellement. On doit faire preuve de volonté et de persévérance, cela demande un travail de fond conséquent. Un joueur en difficulté, c’est quelqu’un qui n’a pas de club, qui se retrouve dans une situation précaire. On doit être en mesure de trouver une nouvelle opportunité aux joueurs.
L’agent doit faire marcher un réseau, appeler les clubs de football, faire un travail rigoureux pour juger les clubs qui sont à la recherche du poste concerné, mettre en avant le joueur par l’intermédiaire d’un CV sportif et vidéo. Les déplacements aussi pour rencontrer les différents directeurs sportifs, les convaincre de mettre les joueurs à l’essai pour pouvoir déceler s'il y a une possibilité ou non. Lorsque l’agent arrive à sortir le joueur d’une situation compliquée, c’est là qu’il est mis en lumière et que son rôle prend tout son sens.
Nous sommes aussi des catalyseurs, on est là pour permettre aux joueurs de football d’accélérer certaines opportunités ou d’en créer de nouvelles via notre réseau. On essaye d’en développer un qui nous permet d’avoir accès plus facilement aux clubs, aux informations sur les besoins, les montants qu’ils sont prêts à investir sur un joueur et savoir si les profils de nos joueurs correspondent.
Une méthodologie est préparée en amont pour aider les joueurs de football. La partie la plus difficile de ce métier est de s’occuper de joueurs en difficulté.
Penses-tu que c’est le joueur qui fait l’agent de football ? Ou inversement ?
Erick Noubissie : Cette phrase laisse penser que l’agent ne doit pas travailler, qu’il suffit d’avoir le joueur qu’il faut. L’agent reste les bras croisés et récolte les fruits de ce que fait le joueur. Quand un joueur de ton écurie brille sur le plan international (club et/ou sélection) cela peut se produire. Ces joueurs ne représentent qu’une minorité dans le monde du football. Tout le monde n’a pas Kylian Mbappé, Karim Benzema ou Lionel Messi.
On compte entre 1100 et 1300 joueurs répertoriés comme professionnels en France. Il faut savoir qu’environ 80% des joueurs qui signent professionnels ont une carrière d’une moyenne d’environ 5 à 6 ans.
Des agents ont travaillé dur pour créer une carrière à leurs joueurs. Certains ne jugent que la partie visible de l’iceberg (les performances du joueur sur le terrain).
On omet parfois le travail qui a été réalisé en parallèle. Un travail de l’ombre effectué afin que les joueurs soient mis en avant, considérés par rapport à leurs talents et qu’ils obtiennent des opportunités.
J’ai eu des joueurs qui se sont retrouvés indésirables dans le monde professionnel. On a travaillé pour les remettre d’aplomb et sur le devant de la scène.
Grâce au travail parfois invisible des agents, ils réussissent à retoucher le haut niveau. Ainsi ce n'est plus le joueur qui fait l’agent, parce qu’il y’a eu un gros boulot réalisé pour remettre le joueur sur le marché.
Pour donner un exemple, Thanawat Suengchitthawon n’a pas été conservé par Nancy, on a retrouvé une opportunité. Il était prêt à retourner dans le monde amateur. Il a signé son premier contrat professionnel à Leicester. Si demain il a une belle carrière, ce que je lui souhaite, il se souviendra que des personnes ont fait le nécessaire pour lui trouver des opportunités.
Hakim Guenouche évolue actuellement en Bundesliga autrichienne. Quand je le récupère il est sans club, il n’a pas joué durant un an. On a travaillé pour le remettre sur le marché, pour qu’un club lui redonne sa chance. Ensuite il fait de très belles performances. Il termine meilleur latéral de Bundesliga.2, il monte en Bundesliga et évolue aujourd'hui contre des clubs qui jouent la Coupe d’Europe.
Même son de cloche pour Andreaw Gravillon, quand je le récupère, l’Inter de Milan ne souhaite pas le conserver. ll faut trouver un club où rebondir après sa belle saison à Lorient.
Une décision doit être prise rapidement avant qu’il ne soit dans le « loft intériste », on lui trouve le stade de Reims.
Il y a des cas de figure où le joueur fait l’agent mais l’inverse existe et de manière beaucoup plus fréquente. Si on arrive à trouver des clubs, c’est que le joueur est talentueux mais notre rôle est important dans l’obtention de nouvelles opportunités.
Interview menée par Abdelwahab Hamed pour SportsAgent Institute le 9 mars 2022.
